(Texte original : http://kenshi247.net/blog/2011/03/25/i-am-a-deshi/, traduit de l’anglais par Roland Haroutiounian)
Même si le Japonais n’est pas notre langue première, nous utilisons couramment dans le domaine du Kendo le terme japonais « sensei » dans le sens de professeur. Qu’en est-il de la deuxième moitié de l’équation, l’élève ? Je n’ai pas souvenir d’un quelconque terme japonais utilisé dans la dizaine de pays et plus dans lesquels que j’ai eu la chance de pratiquer le kendo.
Traditionnellement, quand quelqu’un rejoint un dojo, il existe deux termes utilisés pour exprimer la notion d’ »élève » : monkasei (門下生) et deshi (弟子). Il en existe d’autres (ex: 門弟 ou 門人) mais on utilise principalement ces deux-là. A moins de faire partie d’un dojo koryu, ou de lire et regarder un animé/manga, vous ne croiserez probablement jamais le premier terme. Le second, en revanche, est toujours utilisé — certes peu fréquemment — de nos jours dans la communauté japonaise du kendo.
Comme les lecteurs réguliers le savent peut-être, je dirige un club de kendo dans un lycée d’Osaka. Quand j’ai commencé à enseigner, mon sensei s’est tourné vers moi et a dit :
“お前も弟子がおるぞ” ( = “Maintenant tu as tes propres deshi”)
Cela a un peu coupé mon élan : « deshi … Que dois-je faire ? », ai-je pensé.
Plutôt que de tenter d’expliquer la signification de « deshi » par moi-même, permettez-moi de traduire un texte d’une kenshi de 13 ans originaire de Kyushu.
PS : Vous pouvez aussi consulter l’article suivant : http://kenshi247.net/blog/2008/07/30/the-same-path/ après avoir lu le texte ci-dessous.
L’essai qui suit a reçu le prix kantosho dans la section « collège » lors du « 32e séminaire de recherche sur le kendo et la jeunesse ».
« Je suis un deshi »
Ecrit par : Hasuda Tomoka, Elève de première année au collège (approximativement 13 ans), Préfecture de Miyazaki, Miyazaki city, dojo Syujakukan (http://www.syujakukan.com/)
Tout d’un coup, après un keiko mon sensei m’a dit « tu es mon deshi« . J’étais surprise de la spontanéité de ces propos, mais j’étais également contente qu’il m’ait appelée « deshi« . Toutefois, je me suis sentie bizarre. C’était parce que je ne comprenais pas réellement le terme « deshi » ou ce que cela signifiait d’en être un. J’ai réfléchi longuement à propos de la signification du mot et j’ai recherché de l’information à ce propos dans des livres et des dictionnaires. J’ai découvert que « deshi » est une partie de la relation « professeur-élève » (師弟の関係). D’un côté nous avons le professeur — quelqu’un avec des qualités techniques et un savoir cultivés par l’expérience — qui transmet cela par l’enseignement; et de l’autre côté nous avons le deshi, qui apprend du professeur et étudie sous la direction de celui-ci. Dans le cadre du dojo, les senseis sont les professeurs, et nous sommes les deshis.
Alors, quel est le rôle du deshi ? Qu’est-ce qu’un deshi est censé faire ?
Un deshi a plusieurs rôles à apprendre, dont le fait de saluer le sensei quand il arrive au dojo et quand il le quitte (shiai), faire les courses nécessaires (pour le dojo et/ou le sensei), prendre soin de différentes choses autour du sensei (en rapport avec le dojo), etc … En kendo, par exemple, ranger convenablement le bogu du sensei et s’assurer de son confort sont des facettes du travail du deshi.
J’ai commencé à apporter du thé au sensei après le keiko quand j’étais en dernière année de l’école primaire (11/12 ans). Cela a commencé quand mon sensei m’a demandé de lui apporter du thé, et maintenant c’est devenu naturel. Pendant ce court laps de temps, le sensei me félicite ou pointe des points négatifs à corriger.
Nous parlons également de choses en dehors du kendo. Ce que sont mes projets pour le futur, ce qui se passe à l’école, le taikai auquel mon sensei va se rendre, le changement des saisons, etc … Ce sont des conversations qui ont beaucoup de valeurs pour moi. Quand des visiteurs viennent au keiko, je leur apporte également du thé. Dans ces moments-là, il m’est demandé de m’assoir dans le coin et d’écouter les conversations (entre les adultes). Je ne comprenais pas vraiment ce qui se disait mais mon sensei m’a dit plus tard : « même si tu ne comprends pas ce qui se dit, même si tu ne prend pas part à la discussion, écouter les histoires et les conversations d’autres personnes est important. Il arrivera un jour où tu comprendras« . Quand il m’a dit ça, j’ai réfléchi sur la chance que j’avais d’écouter ces conversations et que c’était quelque chose de très différent par rapport à ma vie courante, et j’ai considéré ces discussions sous un angle nouveau.
Une autre chose qui a attiré mon attention est que mon sensei part en voiture (après le keiko). Quand je l’accompagne pour le saluer, j’attend que sa voiture ne soit plus dans mon champs de vision avant de prendre la route. J’ai appris à faire cela en regardant comment la brigade anti-émeute de la police traite ses senseis.
En continuant à être un deshi de ce type j’ai appris quelques bonnes choses, par exemple : comment utiliser un langage propre (apprendre à être polie en Japonais, etc …) et comment être sensible aux nuances dans les conversations des personnes, et maintenant je suis à l’aise quand je dois m’adresser à des personnes qui me sont supérieures (par le grade, l’age, la profession, etc …). Il y a également d’autres choses, par exemple je suis capable de penser et de prévoir ce que mon sensei va dire/vouloir, et je suis déjà en action avant qu’il n’ait parlé.
Un jour, mon sensei m’a dit que le deshi a des responsabilités. Je n’ai pas réellement compris ce qu’elles pouvaient être et j’ai réfléchi à cela. Je pense que la responsabilité/rôle du deshi est de conserver ce qui lui est enseigné par ses senseis et d’agir dans ces limites, puis de transmettre cela à ses kohai. Je n’ai toujours pas la capacité à faire cela, donc en attendant je vais faire le maximum lors des keikos, et avoir pour objectif de devenir un bon sempai dans le futur.
Au début je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait d’être un « deshi« , mais grâce à tout ce que m’a enseigné mon sensei, je pense que j’approche de la compréhension du véritable sens. Depuis que je suis devenue un deshi, mon sensei m’a réprimandé souvent, mais comme il n’y a pas beaucoup de personnes pour me gronder, je suis reconnaissante qu’il soit là, parce que je sais que c’est pour mon bien.
A partir de maintenant, par le kendo et en tant que deshi/personne, je veux continuer à apprendre sur la vie.
Source : 剣道時代2011年4月。「私は弟子です」。蓮田和佳。