Texte original de Tóth Balázs, traduit vers l’anglais par Tóth Fanni: « Things I have learnt in Kokushikan University – The way I was thinking 4 years ago« , https://kendo-kultura.hu/en/kokushikan-university-4-years-ago/
Traduit de l’anglais par : Roland Haroutiounian
Ce que j’ai appris à l’université Kokushikan – La manière dont je pensais 4 ans auparavant
Au lieu de simplement décrire mes expériences, j’essaie ici de donner une brève description couvrant l’essence du kendo à travers l’esprit de l’université Kokushikan. Mon but est de partager ce que j’ai ressenti au quotidien durant les entraînements, ce qui m’a aidé à comprendre le kendo « orthodoxe ». Je vais essayer de donner des explications simples et claires, provenant des notes que je prenais juste après les entraînements, en essayant de transcrire le plus fidèlement possible les paroles de mes maîtres.
L’esprit de l’université Kokushikan
Celui-ci est réellement unique. Si quelqu’un est assez chanceux pour en faire partie, alors le combat l’attend. Combattre équivaut à aborder le kendo avec humilité. Il s’agit d’une communauté qui vous enchante, vous accepte et vous aide si vous avez envie de combattre et donner le meilleur de vous-même. La connaissance du kendo est transmise par la pratique, et non par les mots, aux étudiants de l’université d’abord d’année en année, puis de génération en génération. Je n’ai pas le sentiment que la science du sport ou les examens théoriques ont leur place ici. La théorie stipulant que le kendo ne peut être compris que par les personnes qui le mettent en pratique est vraie. « Yaru shika nai! » est en général répété et se traduit par : « Fais le ! ».
Le concept du « mushin » (vide de l’esprit) est régulièrement mentionné et bien connu. Il est extrêmement important dans les compétitions et les entraînements également. L’atteindre pendant l’entraînement requiert un effort important; par exemple, arrêter de se soucier de l’entraînement quotidien ou de la quantité de choses qu’il faut apprendre ou des choses qui se passent dans la journée de travail, ou en famille, ou encore des blessures. En fin de compte, cela signifie vaincre l’inappaisable ego, être capable de donner le meilleur de soi en toute humilité.
Il est des moments où l’entraînement est moins difficile. Tout le monde aime ces moments et tous sont contents mais l’apprentissage est le plus efficace dans les moments difficiles, quand il y a un entraînement dans la matinée, des examens tout au long de la journée et beaucoup de karakigeiko dans l’après-midi. Dans des moments pareils, nous devons nous demander ce que nous souhaitons réellement. Sur le long terme il est bien plus facile de choisir de combattre avec le sourire que de tout laisser tomber. Je pense que c’est là l’attitude qui correspond aux champions. L’attitude seule n’est pas suffisante, mais elle représente une étape inévitable sur la route pour devenir un champion.
Si quelqu’un est capable de s’approprier cette attitude, et de la mettre en pratique au quotidien, alors il deviendra un membre de la communauté de l’université Kokushikan sans aucun problème, en acquérant tout le savoir qu’il souhaite en commençant par les bases du kendo.
Ujiie sensei et le oikomi geiko du matin
A l’université Kokushikan, tout le monde évolue vers un kendo juste. La présence d’Ujiie sensei imprègne tout. Aucune erreur ne peut être commise sous ses yeux. Aucun combat contre lui ne peut être évité, et chacun doit connaître ses erreurs dans ses mouvements et son énergie. L’oikomi geiko commence à 6h30. Son oeil strict observe chaque mouvement même à cette heure très matinale. Cette méthode d’entraînement est entièrement basée sur les fondamentaux. La conception de l’oikomi d’Ujiie sensei n’est pas de pratiquer des millions de frappes en étant à 90% mais de n’en faire qu’une ou deux centaines en donnant 120%. « Chaque frappe doit être un ippon ! »
Dans la session d’entraînement, les élèves se positionnent sur 5 ou 6 lignes, ce qui ne représente pas une grande charge en terme de quantité. Cependant, le fait que l’entraînement se déroule si tôt et que chacun doit s’efforcer de tendre vers la perfection donne une intensité forte à la pratique. (Pour celles et ceux qui préfèrent l’aspect scientifique : dans la théorie de l’entraînement il est bien connu que l’intensité peut être augmentée par diverses méthodes, pas seulement l’augmentation du volume).
Il n’est pas rare qu’Ujiie sensei arrête la pratique pour, chaque jour, répéter les choses importantes afin de les imprimer dans les esprits des élèves.
A propos du dynamisme
Ujiie sensei a toujours mis l’accent sur le dynamisme dans le kendo. Il distingue le dynamisme du corps, le dynamisme de l’exécution de la technique ou du mouvement et le dynamisme de l’énergie. Il considérait le dernier comme le plus important. Pour prendre une illustration plus concrète : dans l’oikomi, un long kiai est nécessaire avant chaque démarrage. L’intensité du kiai doit être maximisée et afin de réaliser cela, la technique respiratoire (qui sera expliquée plus bas) doit être correctement réalisée. Une fois cela fait, le mouvement sera naturellement exécuté, et il faut donc produire un effort conséquent pour réaliser un bon kiai. « Ce n’est pas un problème si on voit des étoiles !«
A propos des éléments composants la technique correcte
Il existe trois règles à suivre : un grand mouvement rapide et puissant, la patience et l’endurance. Ces trois notions impliquent que la précision et la correction doivent être maintenues pendant toute la session d’entraînement. Le corps est capable de conserver le mouvement correct durant l’entraînement, même si il ne peut l’exécuter à la même vitesse.
Le rôle du motodachi
Selon Ujiie sensei, « teinei ni ukeru » signifie souffrir avec sagesse, prudemment et complètement. Si le motodachi ne travaille pas correctement, l’entraînement sera très douloureux pour l’élève.
Ōta sensei et le Houjou – A propos de la bonne manière de respirer
Ōta sensei a dirigé mes cours de kata houjou et il fut celui que j’ai le plus combattu durant mon séjour au Japon. Je ne donnerai pas une explication sur le kata, je préfère partager les sensations que j’ai pu ressentir durant la pratique. Selon Ōta sensei, celui qui pratique ne perdra pas les bases du kendo. Les traces de l’une des écoles anciennes (la Jikishinkage-ryuu) peuvent être perçues, et peuvent être utiles dans le kendo moderne. Le « aun no kokyuuhou« , la respiration par le diaphragme, est un élément important.
Si quelqu’un la pratique correctement, on le voit à peine respirer. On doit également porter une attention particulière sur son implémentation au bokuto : la prise ferme de la main gauche, « mestsuke« , l’exactitude du pas, la puissance de la coupe – « moroude« , le concept d’ »atobaya« , le timing entre le uchidachi et le shidachi dans l’aiuchi, « ki no okori wo yomu« , et donc sentir quand l’autre va bouger …
Acquérir ce savoir est très important pour Ōta sensei. Quand quelqu’un a combattu contre lui et s’est habitué à son style il va sentir une sensation d’étouffement dès le début. J’en ai beaucoup souffert avec lui au début mais les leçons de houjou m’ont aidé à comprendre pourquoi.
Un pratiquant ne peut pas respirer à n’importe quel moment durant la pratique. Il n’est pas conseillé d’interrompre la pression (« kihaku« ). Se tourner est un moment sensible dans le combat et beaucoup de personnes stoppent leur kiai durant la pratique (au passage le kiai n’est pas pris au sérieux par un grand nombre d’Européens).
Afin de maximiser le kiai dans chaque coupe sans créer de rupture, il faut savoir respirer au bon moment. En examinant les autres en me basant sur cet élément en particulier, j’ai commencé à pratiquer de cette manière consciencieusement. A chaque fois que je combattais contre Ōta sensei, je m’efforçais d’exécuter un grand kiai, de le conserver lors de mes rotations après chaque coupe et de ne pas créer de rupture. Si un pratiquant fait cela bien, l’adversaire peut être brisé et l’espace nécessaire pour une coupe supplémentaire peut être créé. C’est ainsi que l’on dit qu’il faut couper après avoir brisé l’adversaire : “aite no kamae wo kuzushitekara utsu”.
Mon opinion personnelle est que plus le niveau augmente, plus il nous faut acquérir des techniques pour semer la confusion chez l’adversaire et le briser. Une fois que cela est fait, le debana men ou le kaeshi do vont être réalisable suivant la situation…
Sur le site internet du club de kendo, dans le calendrier de l’an passé, on pouvait lire la phrase suivante : “Kiai de aite wo yobidashi, ken no saki de ayatsuru”. Cela signifie “Créer la confusion chez l’autre par le kiai et le contrôler avec la pointe du sabre”. Cette traduction peut sembler simpliste mais l’essence de la phrase originelle peut être comprise.
Une autre anecdote me vient à l’esprit : je me suis fait réprimander par Ujiie sensei pour ne pas prendre le kiai au sérieux. Il a dit que dans le jigeiko je dois tenir le kiai plus longtemps. Je ne saurais expliquer pourquoi mais j’ai eu la conviction qu’en suivant ce conseil le pratiquant peut avoir un bien meilleur contrôle de son corps dans la pratique.
Kubo sensei et le men uchi parfait
Quand Andou senpai est arrivé à l’université avec sa blessure il a dû râter l’entrainement les premiers mois. Après avoir été rétabli il a commencé à s’entraîner et est resté au dojo même dans l’après-midi afin de rattraper ce qu’il avait manqué. Peu de temps après, tous ont suivi son example. C’est devenu une tradition. On appelle cela “Inokori renshuu” et cela signifie “rester et pratiquer”. Au début, je ne savais pas exactement ce qu’ils faisaient. Je pensais que seuls les compétiteurs ou ceux qui préparaient un examen pouvaient rester. Kubo sensei m’a invité à me joindre à eux. Lui et Watanabe Ryuujirou, qui était en Hongrie avec la délégation de 2013, se sont toujours entraînés ensemble puis ils m’ont intégré au groupe et ce, jusqu’à la fin de mon année.
A la fin de chaque entraînement nous allions consommer une boisson ensemble et discuter pendant une dizaine de minutes, puis nous allions nous changer. Durant ces séances de 40 minutes supplémentaires, nous pratiquions uniquement la coupe de men et de kote, puis nous terminions par kakarigeiko.
L’entraînement consistait en de grands kiai et des coupes. Nous devions, entre chaque action, réétablir notre posture et Kubo sensei trouvait toujours un défaut sur chacun de nous qu’il fallait rectifier. Pour nous motiver, il écrivait une citation ou une phrase sur le tableau avec un marqueur. J’ai eu l’impression que mes gestes étaient entièrement décortiqués par la pratique. Je voulais porter mon attention sur chaque partie de mon corps. Je voulais tout faire correctement mais ce ne fut pas si simple.
Kubo sensei nous expliquait qu’un kiai correct “doit venir de l’intérieur profond du corps et remonter ! Le kiai ne doit jamais retomber ni avant ni après une coupe. La jambe doit bouger lors du kiai, le bon déplacement et l’équilibre doivent être trouvés pour pouvoir commencer par la jambe gauche”.
Kamae : l’annulaire de la main gauche doit être pressé et la position de la main gauche doit être très stable. Le kamae est ajusté lors du kiai et une forme idéale se met en place. La bonne posture est acquise si la base est stable. Le déplacement doit commencer par la jambe gauche et la hanche et la jambe droite vont vers l’avant (et pas vers le haut !). Jambe et bras bougent simultanément. Le sabre doit être balancé comme un fouet (les petits doigs pressés, la pointe du sabre est plus rapide), c’est la bonne manière d’obtenir une frappe forte. Au commencement de la coupe, la main doit aller vers l’avant, pas vers soi. Le geste est dirigé par la main gauche et la position des mains ne doit pas varier par rapport au kamae. C’est de cette façon que l’on est le plus stable. La main droite, quant à elle, doit tenir le sabre également et sa position ne change pas, elle aide beaucoup pour le tenouchi. Après la coupe, le sabre reste. Il ne doit pas aller vers le haut ou vers le bas. Lors de la coupe, la jambe gauche doit revenir très rapidement. C’est ainsi que l’on peut réaliser une rotation ou le zanshin.
Voilà les paroles et pensées que nous gardions à l’esprit pendant la pratique du kihon. Une fois que vous avez cela, tout vient plus facilement.
Pour résumer, deux phrases de Kubo sensei :
“Ganbatteokeba, yokattadake ha ienai.” (“Si vous êtes un véritable guerrier, ce qui est correct ne le sera pas assez pour vous.”) (traduction libre)
“Gakusei ni kansha. Kyou mo taietsu ni.” (“Grâce aux élèves, cette journée n’a pas été perdue”)